[…]
Wasmes est resté aussi le gardien d’antiques traditions folkloriques dont la plus populaire est sans conteste celle des Feux de la Saint-Jean, - ils s’appellent chez nous « Feux sé-Pierre » - que nous allons essayer d’évoquer pour vous.
Les analystes et les folkloristes surtout ont beaucoup épilogué sur l’origine et la signification des Feux de la Saint-Jean qui, chaque année, vers le 22 juin, s’allument un peu partout dans les campagnes et aux flancs des montagnes pour magnifier le soleil à son apogée et la splendeur solsticiale de la lumière.
Leur origine incontestablement liée au culte du soleil, astre dieu, se perd dans la nuit des temps : tous les peuples dont nous avons hérité notre culture et nos traditions ont adoré le soleil, et le feu, sous ses différentes formes, fut toujours l’élément dominant de ces sites étranges, dont la signification aujourd’hui encore nous échappe souvent.
Les « feux des solstices » furent à l’origine de la chrétienté, vivement combattus puis tolérés, par l’Eglise romaine. Lorsqu’elle se vit contrainte d’utiliser les fêtes païennes, l’Eglise en christianisa quelques-unes : au VIe siècle, les fêtes du solstice d’été devinrent les « feux de la Saint-Jean » en mémoire du grand saint dont le Christ avait dit : « Jean tu es la lumière ardente ».
Chez nous, au Borinage, les feux faisaient partie d’un cycle qui commençait « aux ides de mars » avec les fêtes de l’Alion – où certains linguistes reconnaissent « hélios » le nom grec du soleil – pour se continuer en mai par l’Escouvion – ou fête des Brandons – et se terminer fin juin par les Feux Saint-Pierre dont la fête se célèbre le 29 juin.
De toutes ces coutumes qu’Albert Libiez a si bien décrites, une seule est restée bien vivante, haute en couleurs, « folklorique » au meilleur sens du mot, c'est-à-dire « populaire » : ce sont les « Feux Sé-Pierre » que nous allons tenter de vous décrire.
S’il vous arrive de vous promener dans les corons et les ruelles de Wasmes durant la semaine qui précède le jour faste, vous serez frappé par une activité inaccoutumée : les gamins vont de porte en porte quêter du bois : une bûche, une chaise défoncée, une « choquette » bref tout ce qui peut brûler. Les grands aussi s’en mêlent et ce sont de vieux troncs d’arbres, de grosses souches qui se sont acheminés à grand-peine vers les carrefours où le bois s’accumule en tas. La nuit, une garde vigilante veille à ce que les voisins ne viennent rien voler.
D’autres petits groupes circulent avec une manne et sollicitent de menus cadeaux ou quelque argent : ces « lots » viendront récompenser les lauréats des jeux populaires qui vont bientôt se dérouler.
Voici le grand jour arrivé : quinze, vingt feux sont ainsi préparés dans tous les quartiers populaires. Une marmaille turbulente se bouscule autour des « meneurs de jeux » débordés : tous ces gosses sont mal habillés car tantôt à la farine et la suie, le savon et même le sirop empoisseront leur figure, engluant leurs cheveux et leurs guenilles.
Tout l’après-midi se déroulent les jeux populaires : course au sac, course à la brouette, course à la cuiller dans laquelle repose un œuf, concours d’avaleurs de fil, jeu du croûton enduit de sirop d’où les « djambots » sortent transformés en Papous, grimpette à la « pierce au savon » où il faut décrocher un lot, concours d’anciennes chansons de chez nous où les vieux s’affrontent amicalement. Et doucement, la nuit tombe, noyant un peu les contours des terrils qui s’estompent.
« Quand l’astre aux occidents recule » voici venue l’heure d’allumer les feux. Une caravane officielle, amenant les invités qui ont été reçus à la Maison du Folklore, entreprend la « tournée des feux ». Maïeur et échevins en tête, ils sont bruyamment accueillis par « les meneurs de jeux » entourés d’une marmaille impatiente. Quelques mots de bienvenue, un peu de bousculade. Quelques mots de bienvenue, un peu de bousculade et le maïeur boute le feu au bûcher tout enguirlandé et empanaché : les flammes jaillissent, les clameurs fusent, la musique du quartier se fait entendre et voici que, repris par mille poitrines, s’élève la cantilène irrévérencieuse qui célèbre les Feux Sé-Pierre.
« Sé Pierre a quéyu d’vins l’puche
Sé Djean l’a ramassé !
Enc briquette pour rinscauffer ses piès
E mayet pou l’assoummer
E baudet pour l’intrin-ner…
Vive Sé-Pierre ! »
Alors commence la distribution des fameux pagnons de Wasmes. C’est la bousculade, la cohue, la ruée pour en attraper quelque morceau que l’on s’arrache ou que l’on partage. Spectacle haut en couleurs qu’un Breughel eut aimé peindre, folklore tout imprégné de ce parfum du terroir d’un Borinage où tout n’est heureusement pas mort.
Et la « tournée des feux » continue. Partout, même accueil vibrant, même enthousiasme de la foule déchaînée. Et cela durera une grande partie de la nuit, pendant qu’une fumée âcre emplira la vallée et que les bûches continueront à crépiter au son des accordéons des bals populaires.
Un soir durant, le mirage du « bon vieux temps » aura tenu Wasmes sous son charme.
[…]
DUMORTIER Georges. Une coutume millénaire : Les Feux Saint-Pierre à Wasmes.
Comments